Faire débattre nos élèves en classe: chaos inévitable?
10 October 2013 - 1:45pm
Comme enseignante, j'ai souvent eu tendance à vouloir intégrer le débat. Il est vrai que la classe d'histoire, de géographie et d'éducation à la citoyenneté semblent s'y prêter naturellement. J'avais toutefois plusieurs craintes et mes collègues, à plusieurs reprises, m'ont rappellé qu'un débat en classe, ce n'est pas simple comme bonjour!
L'axiété reliée à la probable perte de contrôle de la gestion de la classe, la crainte que le sujet ne crée des tensions entre les élèves ou touche une quelconque sensibilité; voilà certaines des raisons qui ont fait que j'utilisais peu cette méthode pédagogique, comme d'ailleurs la majorité de mes collègues.
Mais récemment, j'ai eu la chance de lire, dans le cadre d'un séminaire doctoral en didactique de l'histoire, l'ouvrage "Education for Thinking" de Deanna Kuhn (2005). Cette professeure de l'Université Columbia s'intéresse au développement cognitif des adolescents en lien avec l'apprentissage. Dans son livre, elle préconise une approche pédagogique à travers laquel les élèves sont amenés vers la pensée critique en développant des habiletés reliées à l'enquête et à l'argumentation.
Comme didacticienne de l'histoire, les habiletés qu'elle propose de développer pour l'enquête sont très similaires à celles reliées à l'apprentissage de la pensée historique. Toutefois, pour l'argumentation, elle décline une série d'étapes qui peuvent selon moi épauler les enseignants qui désirent réussir un débat en classe et qui souhaitent que cet apprentissage ait une réelle valeur dans la formation citoyenne de leurs élèves.
Je résumerai donc ici ces 10 étapes. Mais avant toutes choses, il faut comprendre que pour Kuhn, l'apprentissage de l'argumentation ne se fait pas de manière solitaire. Il ne s'agit pas d'apprendre à argumenter à l'intérieur d'un texte d'opinion, comme cela est trop souvent fait à l'école. Dans la réalité, les futurs citoyens seront amenés à prendre position dans les débats de société, et cela ne se fait pas de manière individuelle puisque cela implique nécessairement une confrontation d'idées. Pour vous mettre en contexte, Kuhn donne l'exemple du débat sur la peine de mort. Elle demande d'abord aux élèves de réfléchir individuellement sur leur position, puis elle leur demande de se joindre à d'autres élèves partageant la même opinion (en petits groupes).
Activité 1: Générer des arguments
En équipe, les élèves doivent énumérer les raisons qui appuient leurs opinions. En équipe, ils doivent sélectionner les trois meilleures raisons. Kuhn invite les participants à réfléchir à la valeur des raisons invoquées à l'aide de question: "Qu'est-ce cela veut dire? Y a-t-il moyen de le dire dans d'autres mots? Est-ce que certaines de ces raisons se recoupent?".
Activité 2: Élaborer les arguments
La deuxième étape vise à faire réfléchir les élèves sur la qualité des trois arguments choisis. Pourquoi cet argument est-il valable? Comment une personne qui ne partage pas cette opinion réagirait à cet argument?
Activité 3: Appuyer les arguments
Ici, l'enseignant distribue à l'équipe des articles de journaux, extraits de livres, statistiques (etc.) supportant la position de l'équipe. Les élèves doivent alors les utiliser afin d'appuyer les arguments qu'ils ont choisi.
Activité 4: Évaluer la qualité de l'argumentaire
Lors de l'étape 3, les élèves ont pu constater que certaines de leurs affirmations étaient difficiles à appuyer. L'enseignant leur demande donc d'évaluer leur différentes raisons en les classant de la meilleure à la moins bonne. Si d'autres équipes partageaient la même opinion, elles peuvent alors former une plus grosse équipe. La mise en commun des arguments mènera à choisir les trois meilleurs arguments pour la position choisie.
Activité 5: Développer un argumentaire solide
Lors de cette étape, le groupe choisit un représentant par argument. Il faut choisir l'ordre de présentation des arguments et trouver le libellé de l'argument: les phrases chocs, les exemples utilisés et les preuves choisies pour appuyer chacun des arguments. Il faut préparer un document avec les trois arguments et ce qui les appuie.
Activité 6: Évaluer les arguments du côté adverse
À ce moment, les documents préparés par les camps opposés sont échangés. Les équipes ont donc accès à l'argumentaire de l'équipe opposée. L'enseignant doit ici guider la discussion et amener les élèves à classer les arguments de l'équipe adverse du meilleur au pire, de la même manière qu'ils l'ont fait pour leur propre équipe lors de la 4e étape.
Activité 7: Développer un contre-argumentaire
Pour chacune des affirmations du camp opposé, le groupe est invité à développer un contre-argument. On peut ici diviser le groupe en plus petits groupes qui travaille chacun à développer un contre-argument. Lors de la mise en commun, les meilleurs contre-arguments sont conservés sur des fiches.
Activité 8: Réfuter les contre-arguments
Les fiches sont données à l'équipe adverse. Il faut alors être en mesure de répondre au contre-argument. Si cela est impossible, il faut alors décider si l'on décide consciemment d'ignorer le contre-argument ou si l'argument de départ est abandonné puisque trop faible.
Activité 9: Faire face à des sources contradictoires
L'enseignant offre maintenant aux élèves la totalité des articles, extraits et statistiques, et non seulement ceux se référant à leur position comme à l'étape 3. Cela permet à chaque équipe d'imaginer de quelle manière les articles ont pu être utilisés par l'équipe adverse.
Activité 10: Pratiquer pour le débat
Si vos élèves n'ont pas souvent eu la chance de participer à des débats, vous pouvez les mettre en équipe de deux qui incluent un membre de chacune des positions. Ils pratiqueront ici à travers le dialogue leurs arguments et contre-arguments.
Étape finale: Le débat!
Ici, Kuhn suggère une rencontre finale entre l'enseignant et chacun des groupes. On détermine l'ordre dans lequel chaque équipe prendra la parole ainsi que le fonctionnement des répliques. La durée du débat est aussi à déterminer. Des juges peuvent être invités afin de déterminer l'équipe gagnante. Le format du débat reste à la discretion de l'enseignant.
Évidemment, il n'existe pas une seule manière de préparer un débat en classe, mais les étapes suggérées ici nous semblent un bon départ. En procédant de cette manière, il nous apparaît que les élèves auront plus l'opportunité de développer leur argumentaire à un rythme permettant une réflexion plus profonde et plus enrichissante.
Et vous, comment organisez-vous les débats en classe?
Référence:
Kuhn, D. (2005). Education for Thinking. Cambridge, MA: Harvard University Press.