Remettre en question les idées reçues
26 July 2013 - 3:52pm
L'école est un lieu complexe. C'est un endroit où la socialisation avec les pairs entre en jeu dans la construction des stéréotypes et des préjugés chez les élèves, mais c'est aussi là que, par l'apprentissage de la pensée critique, certains enseignants tentent de déconstruire ces mêmes stéréotypes et préjugés.
À l'adolescence, la construction des identités de genre est à son plus fort; c'est donc un moment charnière où les jeunes définissent ce qu'est "être une femme" ou "être un homme" pour eux (Dafflon Novelle, 2005). Ils le font à travers leurs interactions familiales et sociales, influencés aussi par les images médiatiques fortement stéréotypées. Le rôle de l'école est ici selon nous de leur amener un point de vue leur permettant une remise en question de leurs stéréotypes, un conflit cognitif comme l'appelle plusieurs pédagogues.
Heimberg et Opériol (2005) offrent quelques pistes de réflexion sur ce qui est possible dans la classe d'histoire. Des activités de recherche historique basées sur une lecture de sources contradictoires, un réel exercice de "pensée historique" permettant aux élèves de repenser leurs représentations souvent stéréotypées.
Mais quelles sont ces représentations? Heimberg et Opériol (2005) en identifient 4:
« 1. Parce qu’il y a une spécificité des sexes, leurs différences sont inscrites dans la nature. Hommes et femmes doivent ainsi avoir des rôles respectifs différents;
2. L’histoire des femmes est un processus orienté dans le sens d’un progrès, continu et inéluctable, vers une émancipation croissante en direction de l’égalité;
3. Parce que l’émancipation s’est faite naturellement, sans effort, le féminisme est « ringard », extrémiste, et n’a pas de rapport avec les acquis des femmes;
4. Dans la mesure où les femmes sont aujourd’hui égales aux hommes d’après la loi, il n’y a plus d’inégalités entre hommes et femmes et les tâches domestiques sont réparties de manière équitable. »
Les exemples d'exercices donnés par la suite par les deux didacticiens suisses sont européens, mais on peut facilement les adapter à un cours d'histoire nationale. D'abord, pour la première représentation, on pourrait présenter aux élèves des extraits de discours opposés au droit de vote des femmes au Québec (je pense ici particulièrement à Henri Bourassa au début du XXe siècle) évoquant la "nature des femmes" comme raison de leur exclusion de la politique. Cette activité doit être suivie d'une discussion sur la construction sociale de la différence biologique dans les discours; il faut ensuite demander aux élèves de quelle manière cette construction sociale a changé à travers le temps.
Pour la deuxième représentation, l'intention est de briser l'idée selon laquelle les progrès ont été continus. Cela peut être de présenter des textes des Patriotes qui demandaient d'enlever le droit de vote aux femmes (droit qu'elles avaient lors de l'Acte constitutionnel de 1791). Heimberg et Opériol propose aussi un retour sur les droits des femmes après la Première et la Deuxième Guerres mondiales: la fermeture des garderies ouvertes pendant la guerre, les discours proclamant leur retour au foyer, etc. On pourrait terminer l'exercice ainsi: "En complément, ils pourront être appelés à rechercher dans leur entourage, dans la société où ils vivent, des manifestations de misogynie, de négation des droits des femmes, qui leur permettront de nuancer leur périodisation de l’histoire de l’émancipation féminine" (p. 212).
Pour ce qui est de la troisième représentation, le Québec apparaît comme une société particulièrement intéressante à étudier. Comment comprendre en effet l'écart important qui sépare l'obtention du droit de vote au Québec (1940) de toutes les autres provinces canadiennes (1916 à 1925)? Le travail acharné des groupes de femmes peut démontrer que le combat n'a pas été facile ou linéaire. La lutte pour le droit à l'avortement est un autre exemple: les manifestations des groupes féministes dans les années 1970, l'ouverture des cliniques Lazure, le jugement de la Cour suprême en 1988, l'affaire Chantal Daigle en 1989, les tentatives de ramener le sujet à l'ordre du jour par le gouvernement conservateur actuel.
Finalement, pour la dernière représentation, une activité sur les publicités sexistes à travers l'histoire (et actuellement) peut permettre une remise en question de l'idée selon laquelle les tâches domestiques sont réparties également, même de nos jours. Une même activité pourrait s'interroger sur l'idée plus général de l'évolution de la représentation des femmes dans la publicité.
Heimberg et Opériol proposent aussi aux élèves de faire une entrevue avec des femmes de leur entourage (mère, grand-mère, etc.) sur la répartition des tâches domestiques suivie d'une discussion en classe.
Malheureusement, l'histoire des femmes est souvent laissée pour compte en classe d'histoire, mais comme nous avons su le démontrer, elle peut clairement être présentée afin de faire réfléchir les élèves sur les relations de genre. Nous espérons vous avoir inspiré à lui faire une place dans vos cours à l'aide de ces quelques idées.
Dafflon Novelle, A. (2005). Identité sexuée, stéréotypes de genre et socialisation différenciée. Le cartable de Clio(5), 78-88.
Heimberg, C., & Opériol, V. (2005). Histoire des femmes, Histoire des hommes, comment aborder les inégalités à l'école? . International Textbook Research, Journal of the Georg-Eckert-Institute, 27(2), 204-215.