Où sont les femmes dans la Progression des apprentissages?
10 July 2013 - 9:40am
Pour ce blogue, nous avons décidé d'aller interroger la place des femmes dans le programme d'histoire et d'éducation à la citoyenneté de 3e et 4e secondaire (histoire du Québec et du Canada). Pour ce faire, nous allons plus particulièrement nous pencher sur la progression des apprentissages proposée par le ministère de l'Éducation, du loisir et du sport depuis 2011 (MELS, 2011).
Ce document, conçu à la manière d’une liste à cocher contient, toutes compétences confondues, 519 éléments de connaissance à maîtriser dans le cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté de 3e et 4e secondaire. Parmi ceux-ci, seuls 27 éléments font référence directement aux femmes en général, à une femme en particulier (par ex., Léa Roback), au mouvement féministe ou encore à un sujet touchant directement les femmes (ex. : la conciliation travail-famille), ce qui constitue un maigre 5% de la totalité de la matière au programme. De ces 27, seuls 10 éléments exposent clairement les femmes comme agentes, c’est-à-dire qu’elles jouent un rôle actif dans l'Histoire et n’y sont pas présentées comme étant soumises à l’État, au climat social ou aux mentalités. Par ailleurs, 63% des éléments touchant les femmes se retrouvent dans l’étude de la société canadienne contemporaine (après 1867).
En plus d’apparaître de manière superficielle dans les deux premiers chapitres de 3e secondaire (division des rôles selon le sexe dans les sociétés autochtones, filles du roi en Nouvelle-France), elles disparaissent complètement pour les trois chapitres suivants (changements d’empire, luttes et revendications dans la colonie britannique, formation de la fédération canadienne). On ne retrouve les traces de leur rôle dans l’histoire qu’au chapitre 6, celui s’intéressant à la modernisation de la société québécoise. Le féminisme fait alors clairement partie prenante du contenu, mais il arrive tel un cheveu sur la soupe. Si les chapitres précédents n’ont fait aucune place à l’oppression vécue par les femmes dans l’Histoire, comment les élèves peuvent-ils être en mesure de comprendre les origines du féminisme et le contexte global dans lequel s’insère cette quête des droits?
Plus surprenant encore, les femmes sont totalement absentes du chapitre 7 (les enjeux de la société québécoise depuis 1980). Même constat pour la totalité des éléments de connaissance reliés à la compétence citoyenne et ce, dans tous les chapitres, pour les deux années du cycle. Pourtant, comme le souligne Bernard-Powers (1996), dans une démocratie qui se targue d’être représentative, l’apprentissage des compétences citoyennes ne peut se faire sans y inclure des méthodes d’enseignement et des textes historiques qui font place aux questions de genre. Pas étonnant que les élèves considèrent le féminisme comme une lutte "terminée" et même "dépassée" (Conseil du statut de la femme, 2009) si les enjeux pour l'égalité hommes-femmes ne sont jamais considérés.
Pour ce qui est des accusations de certains (Bédard et al., 2013; Lachance, 2012) qui prétendent que des événements politiques majeurs comme la Conquête, l’Acte de Québec, l’Acte d’Union, la Rébellion des patriotes, la Crise de la conscription et le rapatriement de la constitution sont passés sous le silence dans le programme, elles sont assurément fausses. Chacun des événements mentionnés ci-haut occupe une place de choix dans les connaissances à maîtriser par les élèves. Par contre, la perte du droit de vote des femmes à la suite des demandes des patriotes, les sphères séparées, la commercialisation de la pilule, le massacre de Polytechnique, l’équité salariale et bien d’autres encore, n’apparaissent tout simplement pas dans la progression des apprentissages.
Le bilan de cette courte analyse des contenus disciplinaires n’est pas reluisant. Malgré les visées établies par le nouveau programme établi depuis la réforme, il semble difficile, en se fiant aux connaissances historiques à maîtriser, de voir comment les élèves pourraient « saisir [une réalité sociale du présent ou du passé] dans la durée en considérant des éléments de continuité et de changement » (MELS, 2006, p. 11). En effet, les éléments qui permettraient potentiellement aux élèves de faire des liens entre le présent et le passé ou encore d’appréhender l’agentivité des femmes dans toutes les sphères de la société sont quasi inexistants.
Références
Bédard, É., Comeau, R., Graveline, P., & Laporte, G. (2013, 9 mars 2013). Revalorisation de l'enseignement de l'histoire du Québec - Une action légitime, nécessaire et urgente, Le Devoir. Repéré à http://www.ledevoir.com/societe/education/372820/une-action-legitime-necessaire-et-urgente
Bernard-Powers, J. (1996). The "Woman Question" in Citizenship Education. Dans W. C. Parker (dir.), Educating the Democratic Mind (p. 287-308). Albany, NY: State University of New York Press.
Conseil du statut de la femme (2009). Regards de jeunes sur l'égalité. La perception des jeunes de 15 à 25 ans.: Gouvernement du Québec.
Lachance, M. (2012, 13 octobre). Enseignement de l'histoire - D'une cage de homards à l'autre, Le Devoir. Repéré à http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/361330/d-une-cage-de-homards-a-l-autre
MELS (2006). Programme de formation de l'école québécoise, chapitre 7. Enseignement secondaire, deuxième cycle. . Québec: Gouvernement du Québec.
MELS (2011). Progression des apprentissages au secondaire: Histoire et éducation à la citoyenneté 3e et 4e secondaire. Québec: Gouvernement du Québec. Repéré à http://www.mels.gouv.qc.ca/progression/secondaire/histoire2/