Patrimoine architectural : Préserver quoi et pourquoi?
4 December 2012 - 9:37pm
Partie I : William Morris et les origines de la conservation du patrimoine architectural
Partie II : Le patrimoine industriel et populaire
Partie III: L’exemple de Griffintown
Est-ce que vous avez un léger pincement au cœur lorsque vous regardez une belle église se faire démolir où lorsque vous voyez les innombrables rénovations douteuses sur certaines habitations ou commerces historiques de votre ville? Si oui, vous auriez aimé Williams Morris (1834-1896). Poète, peintre, designer textile, architecte et militant politique, Morris fut au premier plan de la vie intellectuelle anglaise durant la deuxième moitié du XIXe siècle.
Aujourd’hui, presque tous les États du monde consacrent une partie de leur budget pour la préservation ou la restauration des bâtiments anciens. Cette sensibilité n’a pas toujours existé, il a fallu des individus, comme William Morris, pour que les autorités publiques prennent conscience de l’importance de cette question. Morris a fondé en 1877 la Society for the Protection of Ancient Buildings, l’une des premières initiatives du genre.
Mais d’où lui vient ce désir de préserver les traces du passé pour les générations futures? La prise de conscience de Morris débute lorsqu’il était un jeune universitaire d’Oxford. Il y côtoie les partisans du préraphaélisme. Courant artistique qui privilégiait les styles esthétiques d’avant la Renaissance. Morris avait un goût marqué pour l’art gothique, par exemple.
Cette prise de position n’était pas seulement esthétique, mais contenait une réflexion sur le rôle de l’art et des artistes dans la société. Au début du XIXe siècle, l’art individuel s’affirme de plus en plus, signer son œuvre devient monnaie courante, ce qui n’était nullement le cas lors des siècles passés. De plus, l’Angleterre est en pleine Révolution industrielle. La division du travail qui l’accompagne détruit petit à petit l’artisanat. Comment restaurer les bâtiments anciens si le savoir-faire se meurt? William Morris prend donc part au Arts and Crafts Movement. L’objectif est à la fois d’étudier les techniques anciennes et de faire la promotion d’une façon différente de concevoir l’art; l’art collectif.
Mais Morris constate rapidement que la promotion des artisans ne règle qu’une partie du problème. Si nous voulons préserver les bâtiments anciens, il faut quelqu’un qui connaisse les anciennes techniques, mais il faut d’abord et avant tout que les autorités publiques aient la volonté de les sauvegarder. C’est de là que vient l’idée de créer la Society for the Protection of Ancient Buildings.
Ce groupe savait très bien qu’il ne pouvait pas tout préserver, mais en s’organisant, il allait tout de même tenter de minimiser les dégâts. Pour accomplir sa mission, la Society for the Protection of Ancient Buildings doit se trouver des alliés, quelques notables, qui pourront amener les préoccupations du groupe dans les cercles de pouvoirs. Le groupe de Morris n’hésite pas non plus à dénoncer publiquement, via les journaux, certains projets en cours. Ces condamnations publiques réussissent rarement à faire changer les plans de construction ou de rénovation, mais donne un sérieux avertissement aux promoteurs pour leurs prochains projets… À tel point que la Society for the Protection of Ancient Buildings devient un centre d’expertise incontournable pour quiconque désirant rénover un bâtiment ancien.
Mais pourquoi Morris et ses partisans, étaient-ils si acharnés, et sur quel principe basaient-ils leur action? Pour Morris, le concept de propriété privée ne devrait pas être le seul élément à prendre en considération. Il donne l’exemple des églises, celles-ci ne devraient pas être « les jouets » des autorités religieuses. Par exemple, une église construite au XIIe siècle appartient à la fois aux artisans, à la communauté qui l’a construite et aux générations futures qui ont le droit de voir l’œuvre originale, et ce, peu importe l’acte de propriété officielle.
Morris voyait sous ses yeux l’art médiéval graduellement disparaitre. Aujourd’hui, au Québec, quelle période architecturale est délaissée? Nous accordons un certain souci pour les constructions datant d’avant la Première Guerre mondiale et les bâtiments ayant un certain prestige, qui ont tous appartenu à l’élite économique et politique de l’époque, mais faisons nous preuve de la même sensibilité pour le patrimoine industriel et les lieux de sociabilité et d’habitation des milieux populaires? J’en doute, et lors de mes deux prochains articles, avec les lunettes de William Morris, nous allons réfléchir sur le sort réservé à cette période de notre histoire architecturale.