Les historiens face à Hitler et Staline: l'agentivité individuelle
28 February 2012 - 10:32am
Récemment, je me suis intéressée à l'agentivité historique (agency). Je me suis questionnée surtout sur la façon de présenter les femmes, les différentes minorités, les ouvriers, les marginaux, etc. dans les manuels scolaires. Je me suis demandé pourquoi ils y tenaient le plus souvent des rôles secondaires par rapport aux "grands personnages" ou encore par rapport aux institutions étatiques.
Dans mes lectures sur l'agentivité, j'ai été étonnée de lire un article qui se posait la question inverse: arrive-t-il que les historiens présentent de "grands personnages" en diminuant leur rôle individuel? L'historien Philipp Pomper s'est ainsi demandé si la manière de présenter Staline et Hitler chez les historiens contemporains n'avait pas tendance à effacer l'agentivité et le rôle historique de ces derniers.
Il identifie ainsi plusieurs mécanismes utilisés par les historiens (Pomper, 1996, p. 286) :
1) La dépersonnalisation : Les historiens tendent à effacer l’individualité de Hitler et Staline en les présentant comme des personnes normales et ordinaires plutôt que comme psychopathes ou démoniaques;
2) L’instrumentalisation : Hitler et Staline seraient simplement le reflet de tendances historiques ou même des produits d’une culture s’étendant sur plusieurs décennies, voir siècles;
3) La passivité : Les deux dictateurs ne sont pas présentés comme ayant été les initiateurs conscients et ayant le contrôle, mais bien comme des hommes passifs ou réagissant aux demandes de la population ou de groupes spécifiques;
4) La structuralisation : Les historiens ont tendance à attribuer plus d’importance aux structures et aux processus économiques, politiques et sociaux qu’au pouvoir des dictateurs.
Suite à cette lecture, plusieurs questions me viennent en tête:
D’une part, est-ce que cette situation constatée par Pomper se retrouve aussi dans les manuels scolaires traitant des deux personnages ou encore dans le récit utilisé par les enseignants d’histoire? En d’autres mots, qu’en est-il de la transposition didactique?
D’autre part, ce questionnement des historiens par rapport aux rôle historique d’Hitler et Staline n’est-il pas sain? Ne mène-t-il pas à se questionner sur les causes multiples des événements historiques? Sans amoindrir la portée historique des gestes posées par ces deux hommes, ne faut-il pas questionner les structures et les mouvements sociaux ayant à la fois permis à ces dictatures de prendre forme et les groupes s’étant opposés à ces dernières?
Référence:
Pomper, P. (1996). Historians and individual agency. History and Theory, 35(3): 281-308