La conscience historique et l’enseignement supérieur
23 October 2015 - 11:40am
Le rapport au passé, à partir du présent, mais en vue du futur, n’est jamais donné. Chaque société jongle, à sa façon, avec cette triade qui compose l’expérience du temps, et façonne l’existence humaine.
En ce sens, la conscience historique est elle-même historique, comble du comble. Plus précisément, la compréhension du présent par le passé qui permet d’envisager le futur est conditionnée par son contexte. Et pour ajouter une couche supplémentaire à cette méta-observation : notre propre compréhension de cette compréhension dépend également de sa situation particulière dans le temps et dans l’espace.
Du moins, c’est ce que l’on aperçoit dans l’intérêt que portent les historiens, didacticiens et enseignants envers la conscience historique de nos jours, selon le portrait que nous dresse Christian Laville dans son chapitre « Historical Consciousness and Historical Education : What to Expect from the First for the Second » (Seixas, 2004). Selon lui, cet intérêt a d’abord fait surface dans les années 70 chez les didacticiens et philosophes de l’histoire allemands, mais ce n’est que depuis récemment qu’il est devenu une préoccupation pour nous, soit depuis l’avènement de la tendance en éducation à vouloir former des citoyens avec un esprit critique et démocratique, par l’entremise d’une approche pédagogique basée sur la pensée historique. Cette approche, au lieu d’enseigner une version officielle du récit historique (tel que le faisait le modèle pédagogique précédent), encourage plutôt le développement de qualités intellectuelles et affectives, de valeurs et compétences, permettant à l’élève d’agir en citoyen responsable, de naviguer dans un monde diversifié et en constante évolution avec un esprit ouvert et critique. Pour comprendre pourquoi la conscience historique nous paraît maintenant importante, Laville nous donne quelques explications : crise de l’État-nation, crise économique, crise idéologique et de valeurs, crise de la mémoire collective, crise de la discipline historique… Crise, donc, semble alliée à notre intérêt envers la conscience historique.
Et crise, il y a, de nos jours, dans les disciplines humanistes (arts, lettres, sciences humaines et sociales) au sein de l’université contemporaine. Il s’agit d’un phénomène complexe, et le discours qui l’entoure est d’autant plus épineux. Je ne ferai, donc, que la mentionner au passage. Plutôt, je me demande si cette crise donne lieu à un intérêt en enseignement supérieur comparable à celui qui se manifeste chez les didacticiens et historiens en lien à la conscience historique.
En réaction aux malaises et tensions qui résultent de cette fameuse crise, les professeurs humanistes se sentent interpellés à justifier la raison d’être de leur discipline. Ils s’entendent pour dire qu’une des valeurs fondamentales des humanités est de cultiver un dialogue constant entre le passé, le présent et l’avenir; cela se constate dans les nombreuses études portant sur l’histoire de la conscience historique à différentes époques. Par exemple, avec la Renaissance et les studia humanitatis, la conscience historique est incarnée dans des figures comme Pétrarque, qui entretient une correspondance imaginaire, mais sérieuse et assidue avec les Anciens, et dans la philologie, qui devient le noyau des questions, méthodes et conceptualisations des champs humanistes. Ces études historiques démontrent également qu’une forme de conscience historique accompagne le développement de ces disciplines dans l’université moderne, qui émerge en Allemagne, du Romantisme et d’une ferveur historiciste. Enfin, voici un autre exemple que l’on retrouve dans la littérature : l’accent sur la nécessité d’une certaine conscience historique est omniprésente dans l’élaboration du curriculum et des institutions propres à l’éducation libérale (liberal arts) durant les XIXe et XXe siècles en Occident, laquelle insiste sur une formation générale, intellectuelle et morale qui cultive l’enrichissement personnel.
Cependant, les professeurs humanistes ne se prononcent pas sur la conscience historique en enseignement supérieur aujourd’hui, et quelles avenues la première réserve pour la seconde (pour reprendre la formule de Christian Laville). Quels sont le rôle et l’influence de la conscience historique dans l’enseignement des humanités dans le milieu universitaire? Dans quelle mesure les professeurs et élèves universitaires historicisent-ils leur rapport aux savoirs humanistiques? Comment la triade passé-présent-futur est-elle appliquée dans la transmission et l’apprentissage des connaissances, des récits et des principes épistémologiques? Le curriculum humaniste universitaire bénéficierait-il d’une approche pédagogique basée sur la conscience ou la pensée historique?
Ces questions forment la base de mes études doctorales, et j’aimerais bien partager avec vous, par l’entremise de ce blogue, les développements de mes pensées et mes recherches. Je vise à mieux comprendre la conscience historique en enseignement supérieur dans ses divers contextes historiques, mais également dans son habitat actuel et réel. Cet intérêt s’inscrit dans l’optique d’articuler une vision claire d’une tâche commune et d’un avenir renouvelé pour l’enseignement des disciplines humanistes.
N’hésitez pas à me faire part de vos questions et commentaires!