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Usages du sondage en classe d’histoire

Posted by Raphaël Gani
13 March 2014 - 2:45pm

« Ce livre sera discuté ». Cette phrase amorce le quatrième de couverture du nouveau livre de Jocelyn Létourneau, intitulé Je me souviens? Le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse. M. Létourneau était mon directeur de recherche à la maîtrise et il m’a invité à participer à la révision du livre et à sa mise en marché. Au cœur du livre se trouve l’analyse d’une enquête réalisée auprès de 3 475 jeunes Québécois fréquentant le secondaire, le cégep ou l’université. Par voie de questionnaire, des francophones et des anglophones étaient invités à résumer l’histoire du Québec en une phrase. Paru depuis le 21 février, le livre a piqué la curiosité des journalistes et il s’est retrouvé à la Une de cinq journaux.

 

Les journalistes ont été étonnés par le principal résultat de l’enquête, eux qui rapportent habituellement l’ignorance plutôt que le savoir des jeunes en matière d’histoire. La majorité des jeunes Québécois interrogés par Létourneau perçoivent l’histoire du Québec comme un parcours jonché d’adversité. Par exemple : « Nous sommes un peuple vaincu et soumis », résume un élève de quatrième secondaire. Cette vision contraste avec une appréciation positive de l’histoire du Québec, celle-là moins répandue, et exemplifiée par ce cégépien : « L’histoire du Québec est le fruit de quiconque souhaite y participer, peu importe ses origines ». Chez la population générale comme chez les jeunes, la trajectoire de l’adversité est la plus utilisée pour décrire l’histoire du Québec.

Que faire avec les résultats de cette enquête ? La première option consiste à mener des enquêtes supplémentaires pour confirmer les résultats obtenus. Depuis la parution du livre, des journalistes ont opté pour la formule du vox pop vidéo inspiré par la question de l’enquête : « Si tu avais à résumer en une phrase ou une formule l’aventure historique québécoise, qu’écrirais-tu? » Annie Mathieu du Soleil, Marian Scott de la Gazette et Caroline Plante de Global News ont tour à tour produit des vidéos montrant de jeunes francophones ou anglophones qui résument leur histoire provinciale. De plus, l’équipe du journal The Gazette a récolté 240 réponses en posant la question suivante aux internautes : « What is Quebec history to you? » Sur le site web interactif qui accompagne le livre Je me souviens?, nous avons à ce jour récolté 155 résumés d’histoire du Québec. L’analyse préliminaire de ces sondages maison corrobore en large partie les résultats exposés dans le livre, soit la récurrence d’une grammaire mémorielle québécoise axée sur l’adversité et la dualité.

Pour les éducateurs, la question suivante se pose : que faire en classe avec le genre d’enquête menée par Létourneau ? En conclusion de son livre, l’auteur constate que les jeunes n’arrivent pas la tête vierge en classe d’histoire. Leur mémoire est déjà garnie de personnages et d’évènements historiques glanés dans la culture populaire et englobés au sein d’une vision d’ensemble. Selon Létourneau, « les jeunes savent sans connaître ». Autrement dit, ils savent imparfaitement et fortement d’où ils viennent collectivement. L’auteur propose aux enseignants de tenir compte du savoir historique des jeunes, aussi partiel soit-il. Cette méthode consiste à « partir des références historiques des jeunes, références envisagées comme autant de tableaux à déboîter et à recomposer sur un mode plus nuancé et peut-être plus ambigu, mode convenant bien à la réalité du passé (mais beaucoup moins aux attentes des pouvoirs) ». La proposition de Létourneau est inspirante, mais l’éducateur qui cherche à l’employer en classe ne trouvera pas de mode d’emploi dans son livre.

Débuté en 2014 à l’Université d’Ottawa, mon projet doctoral vise à mieux comprendre le potentiel pédagogique du sondage en classe d’histoire. Dans mon projet, le sondage est associé à un processus de questions-réponses entre un professeur et ses élèves, et peut prendre différentes formes dont celle du questionnaire portant sur les connaissances et l'interprétation de l'histoire. Les résultats de ce sondage deviennent ensuite un objet d'étude à décortiquer avec les élèves. L'objectif est pour le professeur de se renseigner sur le bagage de connaissance avec lequel ses étudiants arrivent en classe. Pour l'étudiant, le sondage et l'étude de ses résultats lui servent à situer la valeur de sa propre interprétation de l'histoire, par contraste à celle de ses collègues et celles qui circulent dans la société.

En ce sens, j’ai réalisé trois études pilotes dans autant d’universités (UQAR,ULaval, UOttawa). À leur premier cours d'histoire de la session, les élèves recevaient un questionnaire dans lequel ils étaient invités à raconter le parcours historique (de l’Ontario ou du Québec), et ce, de manière anonyme et subjective. À la fin de la session, j’ai présenté aux élèves un tableau de leurs différentes visions de l’histoire. L’exercice était intéressant, car la plupart des répondants se destinaient à l’enseignement de l’histoire au secondaire. 

À la vue des résultats de mon analyse, la majorité des futurs professeurs d’histoire ont critiqué leur représentation historique, jugée souvent simpliste. Par contre, plusieurs m’ont dit que leur vision personnelle de l’histoire ne teinterait pas leur enseignement de cette matière. Que l’idéal d’objectivité prédominerait sur leurs inclinaisons mémorielles. Présentement, je tente d’interpréter cette dissociation entre un enseignement envisagé et une mémoire appropriée. Je présenterai les résultats de ces trois études pilotes en novembre prochain dans un colloque à Charlottetown.

En attendant, moi et M. Létourneau prévoyons organiser une journée d’étude avec des professeurs d’histoire pour mieux cerner le potentiel pédagogique des enquêtes comme celle analysée dans le livre Je me souviens?, tout comme les sondages élaborés par les professeurs eux-mêmes. Contactez-moi pour plus de détails : rgani011@uottawa.ca. Que la discussion continue !